Visite du Chef [ Zaikel]

Tora, les mains dans les poches, s'agita une nouvelle fois, faisant soupirer Yozur, qui sur le coté la surveillais elle attentivement. Une ligne de cinq hommes étaient située au milieu du pont : deux jeunes mousses aux cheveux bouclés, à l'air sérieux et féroce. Un homme d'une trentaine d'années au corps barrés de cicatrices et au nez en trompette. Puis deux jumeaux à la taille haute et la stature imposante. Le matin même, ils avaient été recrutés par la pirate.

Faisant les cent pas de long en large, et même en travers, Tora ne tenait plus en place. Ayant envoyé un message à Lui, elle l'attendait. Peut-être un peu trop impatiemment ? Bon fallait se l'avouer il était pas aussi vieux qu'elle se l'était imaginé. Elle soupira et s'adossa au bastinguage. Elle n'avait pas bandé sa poitrine, cette dernière la faisant soufrir ces derniers temps.

Yozur l'observait, et elle savait pourquoi ce qui la mit plus mal à l'aise encore. Elle savait parfaitement que son second était amoureux d'elle, depuis qu'ils avaient quinze ans. Ils savaient tous deux qu'une relation entre eux ne marcheraient pas. Bien qu'ils n'aient jamais essayé. Pour la simple raison que pour Tora, Yozur était un frère. Aussi essaya t-elle de se calmer.

Impossible. Ses nerfs semblaient s'entrelacer pour mieux tendre tout son corps, comme un arc. Elle grogna puis lança une épée à l'homme d'une trentaine d'années.

Bats-toi !

Premier ordre lancé. Elle voulait se battre pour oublier la venue de Lui, pour ne plus penser qu'à sa lame, qu'à son âme ne aisant qu'une avec l'acier. Elle tendit sa lame au bout de son bras puis commença à bondir un peu partout comme à son habitude. Son corps répondait à la moindre de ses demandes, souple et léger. Elle s'accrocha rapidement aux noeuds retenant la voile puis coupa la corde pour éviter avec grace et classe un coup porté trop fort et trop maladroitement. Courant agilement sur l'une des barres du bateau, elle s'arrêta puis sauta avec force et légèreté. Atterissant à coté de l'homme, elle lui fit un croc-en-jambe si rapide qu'il ne vit rien. Elle placa sa lame contre sa gorge.

Bien.

Yozur souriait, amusé. Elle avait toujours été un tel paquet de nerfs, à bondir et à crier partout, fière, orgueilleuse. Elle n'était pas pirate pour rien, et son père n'était pas n'importe qui.

Zaïkel marchait dans les rues du port, la tête haute et le bâton à la main. Une fois n'était pas coutume, il portait une tunique brune assez serrée, contrairement aux vêtements amples dont il avait l'habitude de se parer dans les grottes. Il avait également une cape, mais avait omis cette fois-ci de dissimuler ses traits sous une capuche : mieux valait changer d'apparence à chaque fois qu'il sortait, s'il ne voulait pas se faire repérer. Son visage était donc à découvert et ses cheveux flottaient librement derrière lui. Personne ne pouvait savoir qui il était ; l'essentiel était juste d'éviter de laisser un souvenir trop marqué dans l'esprit des gens qu'il croiserait. Il avait donc uniquement pris soin de maquiller les cicatrices et différentes marques sur son visage, et ressemblait tout simplement à un jeune elfe des marais en vadrouille en ville.

Le soleil fatigué était en train de s'enfouir lentement dans la mer d'huile quand Zaïkel atteignit la passerelle du Léviathan. Tora lui avait demandé de passer la voir. Après tout, elle était membre des Rebelles à présent, et il serait sage de savoir exactement ce qu'elle avait et ce dont elle était capable. L'elfe, anxieux à l'idée de sortir de nouveau des grottes si peu de temps après la fois précédente, avait pensé envoyer quelqu'un d'autre pour faire l'inventaire, mais en ce moment, ses hommes les plus compétents étaient tous occupés, et puis... Il ne savait pas encore grand chose de cette pirate ; or, il avait l'habitude de connaître sous le plus des doigts chacun des hommes et des femmes qui se battaient à ses côtés. Surmontant son appréhension, il avait donc fini par accepter l'invitation de Tora.

C'est alors qu'un étrange brouhaha lui parvint depuis le pont du bateau. Il avait maintenant assez d'expérience pour reconnaître les bruits d'un combat. Comment ça ? On se battait sur le Léviathan ? L'elfe empoigna son bâton et faillit se précipiter sur le pont. Et puis il se rendit compte que les bruits avaient déjà cessé, et qu'ils étaient de toute façon trop faibles pour trahir une véritable bataille ; plutôt un duel. Intrigué et prudent malgré tout, Zaïkel garda son bâton légèrement en avant tandis qu'il gravissait la passerelle.

Plusieurs pirates étaient là, ainsi que leur capitaine. Cette dernière menaçait un de ses hommes d'une lame sur la gorge. Etrange, mais vu l'attitude des autres boucaniers, il ne devait s'agir que d'un entraînement, ou quelque chose comme ça. Zaïkel observa Tora un instant. Elle était plus féminine que quand il l'avait vue pour la première fois, plus décontractée et à l'aise sur son terrain, peut-être. En tout cas, il fut étonné de découvrir cette facette de la pirate. Effectivement, il avit encore beaucoup à apprendre sur elle.

Il s'avança de quelques pas timides et se racla la gorge.

"Capitaine Tora Nebuki... Bonsoir. Je suis venu, comme vous l'aviez requis."

Tora, essouflée, sentait son corps légèrement moite. Elle espérait que Lui arriverait bientot. Elle se redressa, et aida son adversaire à se redresser. Elle entendit alors un grognement tandis qu'elle mettait sa main en visière, un peu éblouie par le soleil couchant. La mer le reflétait comme de la peinture.

Elle vit Yozur, son vosage / museau pointé vers Lui. Avait-il donc senti ce qu'elle ressentait pour cet homme si étrange ? Elle rougit légèrement, et essaya de faire passer cela pour un excès de ses efforts. S'approchant de Zaikel, elle s'inclina devant lui prestement, avant de faire signe aux hommes, et aux nouvelles recrues de se mettre en rang. En même temps pour mieux lui montrer les nouveaux, puis il fallait l'avouer pour frimer.

Elle lança un regard à Zaikel tandis qu'elle énumérait quelques rumeurs sans trop d'importance qu'elle avait appris de ses hommes. Puis, détachant son regard du corps de Lui;, elle s'avança et présenta les nouvelles recrues. Cinq personnes, dont deux adolescents, deux jumeaux et un homme ressembla,t à un mercenaire, celui qu'elle avait battu. Il ne semblait pas au mieux de sa forme et de son orgueil.

Elle se tourna pour regarder Yozur, qui toisait Zaikel avec un dédain et une sorte de haine mélangée à de l'admiration non cachés. Elle sentait que cet homme loup savait mieux ce qu'elle ressentait qu'elle-même, ce qui la troubla un instant. Puis, soupirant, libéra ses hommes d'un mouvement de mains. D'une minute à l'autre, elle irait les faire chercher des boutilles pour fêter un peu les nouvelles recures. Peut-être pourrait-elle parler avec Zaikel ? Elle lui lança un regard et pour la première fois lui fit un sourire gentil.

Messire, mes hommes vont aller chercher quelques bouteiles d'alcool. En attendant, si vous voulez bien me suivre...

Elle hésita à déboutonner sa redinguote, hésitante quand à sa poitrine non-bandée, puis, sentant sa peau moite et la chaleur qui se dégageait de sa peau, elle ouvrit le col et quelques boutons, assez pour se rafraichir. Elle n'avait pas mit son chapeau, aussi lorsqu'un coup de vent arriva, ses cheveux voletèrent autour de son visage, assez désagréablement car elle en mangea par la même occasion. Elle fit une grimace puis les attacha en arrière à la manière de son père.

Elle entra dans la grande cabine de bois, confortable et bien aménagée, bien meublée, avec des gouts luxueux mais pas étouffants. Une vraie cabine de femme pirate. S'approchant rapidement de son bureau, elle prit une plume et signa distraitement un papier. Elle s'assit dans son fauteuil et poussa un soupir avant de s'étirer voluptueusement, puis invita de la main Zaikel à s'asseoir. Il n'avait que l'embarras du choix vu les ivers sièges : fauteuils en cuir ou rembourrés, canapnés, chaises, poufs...

Rassuré quand aux combats qui se déroulaient sur le pont du bateau, Zaïkel rendit son salut à Tora et la suivit quand elle passa rapidement l'équipage en recrue. Il regarda chaque visage deux secondes, assez pour enregistrer leurs traits et signes particuliers - pas vraiment difficile, car un groupe de pirates sillonnant les mers avait toujours l'air d'un assemblage hétéroclite et coloré des pires forbans et laissés-pour-compte qu'on pouvait y ramasser sur son passage. Il y en avait même un, déjà aperçu la dernière fois, qui ressemblait à l'enfant d'un loup et d'un homme, et qui d'ailleurs le regardait assez bizarrement. Ce qui faisait plutôt froid dans le dos de la part d'un type avec des crocs. Enfin.

Quand l'elfe ramena son regard sur Tora, il fut presque surpris par le contraste. C'était encore une jeune femme, malgré les marques de la vie mouvementée qu'elle menait, mais la voir au milieu de ses hommes et dépourvue de ses atours masculins donnait une étrange impression de fragilité. Il croisa rapidement son regard et cette impression disparut ; il était bien devant la capitaine d'un navire pirate, qui n'avait besoin de personne pour la protéger. Sans compter qu'il avait déjà eu l'occasion de constater ses compétences.

Enfin, elle congédia les hommes en leur demandant d'aller chercher de l'alcool.

"Merci," murmura Zaïkel, "mais je ne bois pas."

Il la suivit néanmoins dans la cabine, ses yeux plissés ne perdant pas une miette de ce qu'il apercevait. Le Léviathan était un fier bâtiment. L'avoir de son côté serait à n'en pas douter un avantage sérieux. Tora était une alliée de poids.

La porte de la cabine se ferma derrière eux et l'elfe se sentit étrangement soulagé en se retrouvant de nouveau dans un endroit confiné et accueillant. Décidément, ces années d'enfermement l'avaient marqué, se dit-il en tirant une chaise toute simple face à Tora.

Zaïkel planta les yeux dans ceux de son hôte.

"Je ne vais certainement pas rester longtemps," annonça-t-il. "J'ai pu voir rapidement les moyens dont vous disposez. Y a-t-il quelque chose de particulier que vous vouliez me montrer en m'appelant ici ?"

Tora lança un regarda derrière elle puis se leva rapidement pour ouvrir, avec un sourire, deux petits rideaux qui cachaient une vitre formées de petits carreaux de couleurs, des vitraux représentant un dragon ailé des mers, un Léviathan. Le bâtiment devait son nom à cette vitre belle et élégante, que son père avait construite à cause du mythe dont sa fille était gaga. Le soleil réfléchit ses rayons et forma comme une fleur bleutée dans la pièce, qui sembla s'éclairer doucement d'une flamme d'eau.

Tora toussota. Zaikel semblait à l'aise, mais elle même ne l'était pas. Etrange, pour un capitaine sur son bâtiment, mais il la mettait mal à l'aise. Non. Elle rectifia : elle était admirative de lui, et avait juste peur qu'il puisse découvrir ce qu'elle même avait peur de s'avouer.

Elle alla chercher son chapeau, l'épousseta puis sortit un perroquet du dedans. Il adorait se mettre dedans, le volatile, car l'odeur de son père y restait gravée. Ce perroquet lui avait appartenu. Le volatile voleta dans l'air bleuté et alla se poser sur le bureau, observant curieusement le nouveau venu en poussant des mots inintelligibles.

Je ne sais pas ce qui lui prends habituellement il parle correctement. Pour en revenir à vos propos, je voulais vous informer que vous n'êtes pas les seuls à avoir des grottes secrètes. Rien que pour vous en mettre plein le nez et pour vous faire perdre votre exclusivité, j'ai cherché et j'ai trouvé des grottes sous-marines que j'ai aménagées. Na!

Elle tira la langue à Zaikel avec malice. Puis etouffa un rire. Qu'est-ce qui lui prenait de le piquer comme une adolescente en rut ? Elle toussota et se reprit. Elle posa le chapeau sur son haut de crâne et regarda Zaikel. Elle haussa un sourcil et s'approcha de lui.

C'est bien ce que je pensais. Vous vous êtes maquillé. Pour cacher... votre peau. Ou d'autres choses. Une femme remarque toujours ça.

Elle tira sa manche et essuya rapidement le coté droit du cou de Zaikel où quelques cicatrices se révèlèrent à elle. Elle haussa les sourcils, surprise. Avait-elle vu quelque chose qu'elle n'aurait pas du ? Cependant, elle observa la cicatrice : nette. Objet coupant mais pas trop, l'entaille n'étais pas profonde. Fouet ? Elle passa le bout de son index sur la cicatrice puis se recula et s'inclina, confuse.

Excusez moi. Je n'aurais pas du. C'est que... Ce genre de cicatrices...

Tora hésita. Son père aussi en avait eu. Avait-il subit le même châtiment que Lui ? Juste avant d'être assassinné ? Et puis, peut-être qu'il cachait ses cicatrices parcequ'il en avait honte, mais il ne fallait pas. Après tout, elles faisaient partie de lui, et loin de l'enlaidir, lui donnait un aspect réaliste qui n'effaçait nullement sa beauté elfique.

Zaïkel haussa un sourcil admiratif en découvrant le vitrail du Léviathan. Il ne s'était pas vraiment attendu à trouver cela sur ce bâtiment - quoique... Tora était une pirate, mais son entourage ne correspondait pas tout à fait à l'idée crasseuse qu'on pouvait se faire d'un équipage de boucaniers. Cette cabine, par exemple, laissait bien voir qu'il s'agissait de l'habitat d'une femme de goût, non d'un colosse barbu et beuglant. A tout prendre, et même s'il ne se sentait jamais aussi bien que dans l'austérité de ses grottes, Zaïkel préférait cent fois cela que de devoir traiter avec une bande de rustres sans foi ni loi.

Il sursauta en entendant Tora toussoter, et suivit du regard le perroquet avant de poser de nouveau les yeux sur la capitaine - qui se mettait à présent à lui tirer la langue et à rire. L'elfe se sentit légèrement déconcerté. Il voyait de nouveau la femme plutôt que la pirate, une facette bien différente de celle qu'elle lui avait présentée lors de leur première rencontre. Soudain, la lumière se fit dans son esprit et il comprit pourquoi cela le troublait autant : la seule fois où il avait pensé à elle autrement que comme la capitaine du Léviathan, c'était quand elle l'avait embrassé dans la cale. Hum. Il avait presque oublié cet épisode. C'était le genre de choses sur lesquelles il ne valait mieux pas trop s'attarder, puisqu'elles ne signifiaient rien, bien sûr... Mais c'était plutôt difficile. Si elle continuait à se comporter de la sorte, il allait bientôt perdre toute son assurance... Zaïkel s'efforça de reprendre une attitude professionnelle.

"Des grottes sous-marines," répéta-t-il. "Je vois. Une découverte intéressante, à n'en pas douter. Ni Marabelle ni Elmère n'iraient retourner les fonds marins pour trouver des rebelles."

Il n'eut pas le temps de réagir quand elle vint le frotter avec sa manche. Quand elle lui parla de son maquillage, il se sentit légèrement irrité contre lui-même. C'était donc si mal dissimulé que cela ? Il faudrait qu'il soit plus prudent la prochaine fois. Hmpf. Il ne pouvait pas se permettre d'être si facilement repéré. Il s'efforça d'être stoïque comme le roc quand elle toucha sa cicatrice, mais se détourna, cette fois franchement embarrassé, dès qu'elle eut terminé.

"Ce genre de cicatrices," lâcha-t-il en reprenant la phrase de Tora, "est le fruit d'années de tortures chez les Soeurs et sont la principale chose qui me rappellent chaque jour pourquoi, ou pour qui, je me bats. Je fais partie des milliers d'innocents qui sont passés entre leurs griffes, et c'est pour tous ceux qui n'y ont pas survécu que je tente de m'assurer que plus personne n'aura à subir cela. C'est tout."

Zaïkel repoussa avec obstination le souvenir de Siam qui s'insinuait immanquablement dans son esprit à chaque fois qu'il évoquait cette période. Non. Pas de sentiments... Il ne se battait pas pour le passé, mais pour le futur. Silencieusement, il pria pour que Tora ne s'attarde pas sur le sujet.

Tora avait fait un pas en arrière, sa redinguote rouge couverte d'un peu de poudre. Elle était toujours inclinée. Elle avait rougi sous les paroles de Zaikel. Elle sentait sa gêne qu'il parvenait tant bien que mal à dissimuler. Elle ferma les yeux et ne dit rien pendant un instant, laissant le perroquet racler le bois de son bureau du bout de son bec, en les observant.

Elle se redressa et alla s'accouder à la vitre, fermant un peu les yeux sous le soleil bleui par les vitraux. Elle sentait que Zaikel ne voulait pas s'attarder sur le sujet, et bien qu'elle aurait voulu parler franchement, elle ne voulait pas le gêner. Cependant, elle avait également des souvenirs qui resurgissaient. Son père lui montrant bravement une cicatrice sur son épaule, et les marins braillants. Lui même grimaçant de douleur alors que sa mère soignait ses plaies. La première fois qu'il pleura dans ses bras d'avoir perdu un homme...

Elle serra les dents, tournant obstinément le dos à Zaikel; autant pour se concentrer sur la mer que pour empêcher des larmes de remonter comme le flot de souvenirs qui ne s'interompaient plus. Elle ouvrit les yeux en entendant le perroquet voleter et le vit se poser sur la chaise de Zaikel.

Plume, viens là. Ne vas pas embêter...notre hôte.

Elle ne conaissait pas son nom, et n'osait d'ailleurs pas le lui demander. Plume l'avait fait exprès ou quoi ? Est-ce que tous ceux qui habitaient sur ce bâtiment conaissaient mieux qu'elle ses propres questions et pensées; ses propres sentiments étaient-ils plus confus pour elle que pour ses hommes.. ou pour un perroquet ?! Elle rougit légèrement et leva le poignet gracieusement ou le perroquet, peut-être plus par reflexe qu'autre chose, vint se placer. Tora lui flatta la tête du bout d'un doigt.

Vous savez, beaucoup de gens conaissent la douleur de perdre un être cher. Beaucoup savent comme cela fait mal. Tout ce qui leur reste c'est l'espoir. Et savez vous ce qui est la plus grande source d'espoir ? L'amour. Lorsque l'on est aimé et aimons quelqu'un, nous pourrons toujours traverser les pires épreuves, tant que nous croirons en nos sentiments. Moi, je crois en vous; dit-elle en posant soudainement son regard dans celui de Zaikel. Je crois en vos désirs de paix et en ce pays. Alors je serais prête à tout pour vous aider. Quitte à donner ma vie pour laisser la paix à mes descendants...

Descendants... Quel mot beau parleur pour une femme sans attaches ni famille.

Et dire que lorsque j'était jeune, je voulais me marier et avoir au moins cinq enfants, si mes souvenirs sont bons. Ma mère faisait de la couture, et mon père mécoutait, j'étais assise sur ses genoux. Je lui racontait mes petites histoies, et il riait. " Cinq enfant, me disait-il, c'est beaucoup pour une petite princesse comme toi! Tu devras avoir un bon mari!"... Regardez ce que je suis devenue... Le contraire de ce que mon père voudrait... Voyez vous, l'amour que je porte à mon père est énorme, mais...

Elle n'osa continuer. "celui que je vous porte et bien plus grand...".Non. Ce ton passionné ne lui convenait pas, ni ces belles paroles. Elles étaient destinées à des femmes belles et un minimum féminines. Elle se détourna et retourna dansla contemplation de la mer, les yeux vagues.

Assis calmement sur sa chaise, Zaïkel scrutait Tora du coin de l'oeil. Face aux flots de l'autre côté de la vitre, elle lui tournait maintenant le dos. Seul le grattement régulier du perroquet troublait ce silence vaguement inconfortable. Comme il ne voyait pas le visage de Tora, il ne pouvait lire son expression, mais la vue de ses cicatrices l'avait manifestement retournée, pour une raison qu'il ignorait. On ne devenait pas pirate si on était dégoûtée par la vue de petites blessures, à plus forte raison des plaies vieilles de plusieurs années... Alors quoi ? L'elfe avait la désagréable impression que, dans la petite cabine, c'était un concours de celui qui serait le plus mal à l'aise. Comment en était-on arrivé là ?

Il tourna la tête vers le perroquet qui venait se poser sur sa chaise, content d'avoir cette légère diversion. Il n'y resta pas longtemps, juste le temps de rejoindre Tora quand elle tendit le bras. Apparemment remise de quoi que ce fût qui l'ait atteinte au cours des dernières minutes, elle se remit à parler. Zaïkel l'écouta poliment jusqu'au bout avant de répondre.

"On a rarement ce que l'on aurait aimé avoir, capitaine. La seule chose que nous puissions faire, c'est nous battre pour nous en rapprocher. Même si nous échouons, c'est en mourant pour nos idées que... nous pourrons vivre. Ce monde est paradoxal et nous, ses habitants, ne sommes que contradictions. Vous devez être d'accord avec moi... Vous qui êtes partie sur les mers alors que vous vouliez vivre paisiblement avec cinq enfants... Que s'est-il passé ?"

Tora hésita à tourner le visage vers Zaikel puis se mit de coté, l'un de ses cotés enseoleillé, l'autre ombrageux. Elle caressait du bout des doigts le perroquet qui lui donnait des coups de becs affectueux. Elle eut un sourire mi-amusé mi-cynique.

Mon père a été assassiné par une des deux Soeurs. Pour traitrise vis-à-vis de la sois-disante Patrie. Ma mère en est quasi-morte de désespoir. C'est à cette époque là que j'ai rencontré Yozur, mon second. Il m'a vite suivie comme mon ombre. J'aurais pu faire ma vie avec cet homme quelque peu étrange, cependant je souhaitais tuer cet homme qui avait assassiné mon père. Aussi ai-je grandi en me battant, travestie en homme, apprenant à faire des courbettes et plus à charmer les femmes et à manier l'épée qu'a faire la cuisine et à élever les enfants. J'ai repris le vaisseau de mon père et je suis partie à l'aventure, allant de ports en ports en créant divers dégâts de par mon caractère impétueux. Les femmes sont beaucoup charmées par les miens, je ne sais comment cela se fais-ce. Et vous ?

Tora se tourna vers lui et posa son regard mauve dans ceux de Zaikel.

Auriez-vous l'amabilité de m'en dévoiler un peztit peu plus sur vous, dont je ne connais même pas le nom ? Soulever juste un peu le voile de mystère qui plane sur vous ?

Elle eut un léger sourire et alla s'asseoir en face de Zaikel, sur son bureau, dans une posture masculine.

Zaïkel posa son menton dans une de ses mains et écouta l'histoire de Tora, son coeur secoué par de douloureux échos. Encore une... une âme blessée, mise en pièces par les griffes des Soeurs. A chaque fois qu'il écoutait l'histoire d'un Rebelle, c'était la même chose qui lui arrivait. Il en était secoué, mais en ressortait toujours plus fort ; jetant la tristesse et la passion aux oubliettes, ne restait plus qu'une détermination plus dure et plus pure que le diamant, la détermination à abattre les coupables de ces actes.

Il la retrouvait en Tora. Même s'il s'était méfié d'elle au premier abord, il pouvait certainement faire confiance à une telle personne, comme il pouvait faire confiance à Azenor, à son fils ou à tous ceux qui avaient été torturés, parfois physiquement, mais surtout mentalement, par leurs ennemis.

L'elfe sursauta quand elle lui demanda "Et vous ?" Il crut un instant qu'elle lui demandait si lui était sensible à ses charmes. Un instant confus, il fut rassuré quand elle continua sa phrase par une question beaucoup plus... normale. Il tenta de dissimuler la gêne qu'il éprouvait à se trouver seul ici avec elle et répondit le plus calmement possible :

"Il n'y a pas grand chose de plus que ce que vous savez déjà. Je suis né dans les marais et je me bats contre les Von Esmelda depuis la mort de l'ancien roi. Pour le nom, vous pouvez m'appeler Zaïkel."

Il sourit.

"C'est à votre convenance ?"

Tora l'observa et eut un grand sourire. Zaikel.Zaikel... Elle fredonna quelques instants ce nom dans sa tête. Il avait de jolies conssonences, agréable à dire. Elle hocha la tête.

Je suis tout à fait satisfaite...Zaïkel.

Elle eut un sourire. Elle se sentait exaltée comme si elle avait remportée une victoire. Ce qui était dans son cas un peu comme tel. Après tout, on était passé de la relation inconnue froide et distante à une où même Zaikel avait du mal à cacher ses émotions : il avait été confus quelques secondes durant. Alors qu'elle avait fait exprès de poser une question juste après avoir parlé d'elle. Elle le mettait si mal à l'aise que ça ?...

La porte s'ouvrit brusquement et Yozur entra, remplissant l'espace de toute sa prestance. Il entra, ignora superbement Zaikel et déposa la bouteille avec un regard coulant sur Tora, qui l'observa. Il se ecula, fit un signe de soumission presque irnoique et avant de partir, lança un regard qui en disait long à Zaikel. Tora se mordit la langue. Il savait, et maintenant elle s'en était rendue compte. Et Zaikel ? Il avait compris le message des yeux de Yozur ?

Souhaitez-vous goûter au vin de mon pays ? Il n'est pas si alcoolisé que cela, et à un gout agréable.

Elle sourit à Zaikel, pour essayer de détendre l'atmoshpère électrique due au passage de Yozur. Il était si peu agréable avec les autres qui l'approchaient, en digne ami de son père; en digne homme qui était amoureux d'ele. Elle soupira muettement.

Entendre Tora prononcer son nom et la voir sourire soulagea Zaïkel. Cela venait de les placer dans une relation plus proche, plus amicale, dans laquelle la gêne n'avait pas lieu d'être - enfin, moins. En tout cas, ils avaient changé de sujet et l'elfe ne se sentait plus aussi mal à l'aise.

Il tourna vivement la tête en entendant la porte s'ouvrir. C'était l'homme-loup, l'hybride qui lui avait lancé un regard étrange pendant la revue, et qui, d'ailleurs, continuait à se comporter bizarrement. D'abord, il accorda à Zaïkel autant d'attention qu'à un étron croisé sur le bord du chemin. Ensuite, avant de partir, il le regarda comme s'il avait marché dedans. Zaïkel fronça les sourcils et soutint le regard de Yozur jusqu'à la sortie de ce dernier. Non, ce n'était pas que le fruit de son imagination : l'homme-loup entretenait envers lui, sinon une animosité, du moins une forte méfiance. L'elfe avait une mémoire infaillible, surtout concernant les personnes, et il était absolument certain de ne jamais avoir croisé cet homme auparavant, même sous une forme plus humaine. Alors, quoi ? Qu'est-ce qu'il avait contre lui ?

La voix de Tora attira de nouveau son attention sur elle.

"Je... vais peut-être prendre un verre," murmura-t-il. "Un seul."

Mais il n'avait pas l'intention d'ignorer cet incident. Il n'était pas du genre à courber l'échine pour éviter une discussion gênante, et il était certain que, si Yozur avait un croc contre lui, cela allait nuire fortement au service du Léviathan pour les Rebelles. Il fallait régler ça maintenant.

Zaïkel se leva de sa chaise.

"Mais avant cela, capitaine Nebuki, parlez-moi de l'homme qui vient de sortir. Il n'a pas l'air de m'aimer beaucoup. C'est votre subordonné, non ? Il faudra lui expliquer qu'il est maintenant un Rebelle comme vous, et qu'au sein de notre groupe, les luttes mesquines sont bannies. Et d'ailleurs," continua-t-il avec un froncement de sourcils, "j'aimerais aussi savoir ce qui a créé le problème pour pouvoir le résoudre avec efficacité. Aurait-il quelque chose contre... je ne sais pas... les elfes ? Les hommes qui vous approchent ?"

Tora prit deux coupes de cristal dans un petit meuble à objets, où diverses choses étaient déposées, dont un service de verres délicatement décorés et faits par un artisan de grand talent. Elle versa donc le liquide rouge sombre dans les deux verres, et vit les bougies y refléter comme quelque chose. Elle chassa ses pensées étranges de son esprit et regarda Zaikel. Elle eut un sourire, qui se crispa légèrement lorsqu'il lui parla.

Elle remarqua son froncement de sourcils et grimaça. Comment expliquer ceci à cela ? Ca allait etre ardu... Bon, unde trois, je m'en vais au bois...Non c'est pas ça... Allez, on se lance...

Hé bien....Ne vous inquiétez pas, tous mes hommes m'obéiront, surtout Yozur. Quoique je lui demande, il le fera...Et pour ce qui est de votre question, il est... non je mentirais en vous disant que c'est difficile d'y répondre...On va dire que Yozur est un homme qui...qui...

Comment tourner cela sans avoir l'air ridicule ? Tora repira un grand coup et soupira.

Yozur est un homme qui se languit de moi depuis cinq années, dira t-on. Et on va dire qu'il n'aime pas les hommes qui m'approchent de trop près. Je ne veux pas vous mentir, il vous voue une grande haine. J'avoue que ce qu'il a comprit est vrai... Moi-meme je l'avoue...Ne me demandez pas de vous le dire, ce serait au dessus de mes forces... Mais soyez sans crainte, aucun de mes hommes ne faillira sous mes ordres.

Elle eut un pauvre sourire. Elle se voyait mal déballer devant Zaikel que Yozur le détestait parcequ'elle meme... bon allez on se l'avouait une bonne fois pour toute : elle aimait Zaikel. Yozur l'avait compris bien avant elle, et maintenant elle s'en rendait compte. Bon, fallait pas paniquer pour ça hein...Elle porta le verre à ses lèvres et but une gorgé lentement, essayant de retenir quelques tremblements nerveux.

Les gestes saccadés, le regard fuyant, la voix hésitante... C'était clair, maintenant, Tora lui cachait quelque chose, et l'entrée de Yozur l'avait fait remonter à la surface. Croisant les bras, Zaïkel la laissa s'expliquer, l'expression parfaitement impassible. Il était vaguement irrité. Un équipage de pirates... C'était le dernier endroit où il se serait attendu à trouver des individus faisant passer leurs sentiments avant leur devoir. Et même s'il n'était pas particulièrement doué en ce qui concernait les arcanes de l'amour, Zaïkel en avait une petite expérience et savait de toute façon décrypter les sentiments de ses interlocuteurs. Du coup, il commençait à entrevoir les relations qui venaient de se tisser entre Yozur, Tora et lui - et le pétrin dans lequel elles allaient le mettre.

L'elfe soupira et se tourna légèrement, plongeant le regard dans la mer de l'autre côté du vitrail. Pauvre Tora. Elle n'était pas vraiment tombé sur le bon numéro... Il n'avait pas l'habitude de ménager la sensibilité des autres.

"Tora, si vous avez quelque chose à me dire, je veux l'entendre clairement. Ou si vous pensez que les choses iront mieux si vous vous taisez, alors ne dites rien. A vous de voir. Je me contenterai de vous prévenir que j'ai fait mon possible pour ne plus tisser de liens trop étroits avec qui que ce soit depuis que ma femme est morte. Il faut que vous compreniez que je ne suis plus qu'un combattant de la liberté et que mes sentiments... sont inexistants."

Ce n'était pas tout à fait vrai. Il avait des attaches avec des amis comme Azenor, avec son fils... Et il gardait la capacité de ressentir quelque chose, mais engourdie, comme un membre qu'il n'aurait plus utilisé depuis des années. La situation, en particulier, lui pinçait légèrement le coeur. Mais de là à dire qu'il ressentait quelque chose... Non. C'était trop tôt. Il ne pouvait pas.

"Vous me dites que vos hommes ne failliront pas," murmura-t-il. "Je n'en attends pas moins de vous. Si cela vous est possible, expliquez la situation à ce... Yozur. Il n'a rien à craindre de moi."

Il lança un long regard en coin à la pirate, guettant ses réactions.

uTora s'était douté qu'il pisterait quelque chose. Aussi réussit-elle à se ocntroler et à sourire, comme si de rien n'était. Elle baissa un peu les yeux aux paroles de Zaikel, elle comprenait effectivement, mais elle gardait le sourire. Elle n'était pas du genre à se laisser aller. Et puis, autant nier...

Zaikel, ne vous inquiétez pas. Je comprends parfaitement. Et puis, personellement, j'ai toujours dit que ma seule épouse serait ma lame. Aucune personne ne saurait me satisfaire aussi bien qu'elle; elle est en sorte le morceau d'ame qui m'unit. Yozur n'a pas à vous faire quoi que ce soit, et ilsait se maitriser, bien que votre vue l'ai agacé. Il sait cependant faire en sorte de mettre ses sentiments de cotés quand il le faut, je ne suis pas un capitaine de pacotille qui se laisse aller, ou laisse aller ses hommes à la confusion. Et je ne pense pas que Yozur pense avoir quoi que ce soit à crainde de vous. Il est quelqu'un de spécial...

Elle eut un petit sourire. Peut-etre pour essayer de le rendre jaloux ? Elle le fit passerpour unsourire amical. Bon, elle avait un petit peu mentit, elle savait que Yozur avait quelque chose àcraindre de Zaikel, qu'il prenne le cour de la dame qu'il aimait. Mais Zaikel n'était sur de rien, aussi elle n'allait rien lui dévoiler. Finissant son verre elle se leva et alla tendre l'autre verre à Zaikel, avec un sourire amical signifiant qu'elle ne ressentait rien pour lui. Comme quoi, fallait pas se fier aux apparences...

Zaïkel hocha lentement la tête aux paroles de Tora. Paroles rassurantes... Peut-être avait-il été trop orgueilleux ? Non. L'orgueil ne faisait pas partie de ses défauts, et il savait ce qu'il avait vu. Quel que soit le niveau des sentiments de Tora, elle avait au moins un faible pour lui. Si ce n'était que ça... L'elfe l'espérait de tout coeur. Il n'avait ni le temps, ni la compétence, ni l'envie pour gérer une relation amoureuse en ces temps de guerre, encore moins avec cette troublante pirate. Il n'éyait plus fait pour ça. En espérant que les choses en restent là...

Il prit le verre de vin et inclina la tête pour la remercier, puis trempa ses lèvres dans le liquide écarlate. Il observa un instant la surface de velours du contenu de son verre avant de répondre :

"Je n'ai jamais cru que vous étiez une capitaine de pacotille. C'est pourquoi je vous fais confiance. Je suppose qu'on ne gagne pas le surnom de Mille-Morts en se laissant guider par le moindre sursaut de son coeur... pas plus que chef des Rebelles."

Il lui adressa un sourire las. Il ne savait pas trop comment elle avait pris son attitude plutôt froide, mais il avait le sentiment qu'elle le comprendrait et qu'elle ne lui en voudrait pas... Enfin, pas trop.

Tora acquiesca aux paroles sages de Zaikel. Elle suivait le meme fil de pensées, presque comme si elle pouvait lire dans ses pensées. Effectivement, leurs statuts comme leurs caractères leur interdisaient toute relation. Pour l'instant. Elle sentait que le moment propice n'était pas venu. Elle attendrait. Elle avait déjà tant attendu ce petit sursaut de son coeur; dont toutes les femmes parlaient, de cet état de quasi transe rien qu'à la vue de l'etre aimé...

Bon elle en était pas encore là, mais le sentir à ses cotés ça lui suffisait. Quitte à le laisser libre, elle voulait plus que tout faire partie de son existence. Meme si ce bonheur fragile devait etre la cause de son désespoir caché.

Je vous remercie de votre confiance. Je ferais tout pour m'en montrer digne. Mais veuillez, je vous prie, ne plus m'apeller Mille-Morts. Ce surnom, bien qu'encore sur toutes les lèvres, désigne un homme à la poitrine bandé et au charme tout féminin, au caractère sanglant. J'avoue avoir changé gr^^ace à...certaines choses. Dont vous. Je ne souhaite plus faire revivre dans mes actes présentes les faits de mon passé.

Elle eut un léger sourire, espérant qu'il pourrait la comprendre. Elle avait prit ce surnom, désignant ainsi ses victoires tout comme son père, surnommé le Pirate aux Morts Rouges. Elle ne souhaitait plus, cependant, avoir de liens avec les guerres sanglantes et inutiles qu'elle avait faites avec ses compagnons de Piraterie Rouge. Ce passé plein de sang et de mort n'était plus pour elle; elle aspirait à une guerre qui ferait une paix. Elle était prete à mourir pour ça, comme elle était prete à mourir pour Zaikel ou ses hommes. Elle avait trouvé un but. Voire deux, si l'on comptait sa pensée de voler non seulement un baiser mais le coeur de Zaikel.

Zaïkel détourna le regard pendant que Tora lui parlait de sa "rédemption". Il était sûr que sa gêne resurgirait s'il la regardait dans les yeux. Manquerait plus qu'il rougisse... Quoiqu'il n'était même pas certain d'avoir encore assez de sang dans les veines pour ça. Enfin. Il hocha la tête en signe d'approbation aux paroles de Tora.

"Je suis heureux de vous entendre dire ça, capitaine. Je ne vous jugerai pas sur votre passé, puisque c'est pour l'avenir que nous nous battons et que je n'ai aucun droit de vous condamner. Nous avons tous un passé que nous préfèrerions oublier, de toute façon..."

Il risqua un regard vers elle, sans complètement croiser le sien.

"Et dans cette bataille pour l'avenir, j'espère vous avoir longtemps à mes côtés. Je ne suis pas sûr que nous voyions l'avenir exactement de la même manière, vous et moi, mais nous aurons tout le temps de décider quel chemin lui faire prendre quand nous aurons abattu les Soeurs."

L'elfe termina son verre de vin et rit légèrement avant de le poser sur la table et de sourire franchement à Tora. Même si les sentiments de cette dernière ne semblaient pas converger avec les siens, ils avaient un objectif commun. Tora était peut-être plus tête brûlée que lui, mais il fallait bien ça aussi pour remporter la victoire. Il l'aimait bien, malgré tout.

Effectivement, leurs passés aétaient tout sauf joyeux. Aussi préférait-elle l'oublier, tout comme Zaikel. Il avait du perdre beaucoup, plus qu'elle ne pouvait l'imaginer. Peut-etre était-il séparé de sa femme, de sa fiancé, de ses enfants ? Cette pensée la fit grimacer. Ca lui donnait mal au coeur, elle était un peu jalouse mais que pouvait-elle faire contre le passé...

Elle tourna le visage vers lui en le voyant sourire, après des paroles dites d'une manière à la fois faite pour donner du courage et aussi d'une façon amicale. Accompagnée d'un sourire franc, elle détourna la tete d'une manière pensive pour essayer de se controler. C'était la première fois qu'elle le voyait sourire ainsi. Elle meme ne pu s'empecher de pousser un léger rire cristallin. Elle se demandait se qu'elle allait faire. Elle n'osait pas vraiment croiser le regard de Zaikel, de peur qu'il puisse y voir ses sentiments, bien qu'elle fut maitresse d'elle meme. Puis elle se tourna brusquement vers lui et planta ses prunelles mauves dans les siennes.

Vous etes un elfe des marais ! Je suis à demi elfe de par ma mère. Et je...

Là voilà qui ne souhaitait plus continuer l'un de ses plus grands voeux : voir les elfes décrits comme par sa mère de la bouche de Zaikle, voir comment les elfes habitaient, leur moeurs et coutumes... Mais Zaikel aurait peut-etre mal en racontant cela ?

Je ne veux pas vous gener, mais j'ai toujours souhaité savoir ce que j'aurais vécu, et surtout comment, si j'avais été une elfe...comme vous...?

C'était plus une question à soi, et elle baissa le regard. C'était bien la première fois qu'elle exprimait un voeu, et elle avait un peu honte de s'etre laissé emporté comme une enfant enthousiaste.

Zaïkel ne put s'empêcher de sursauter quand Tora, de légèrement gênée, passa soudain à enthousiaste et curieuse. Essayait-elle de détourner la conversation ? Et pourquoi cet engouement pour les elfes des marais ? A en croire la fin de sa phrase, cela cachait quelque chose de plus profond. Zaïkel ne pouvait pas l'ignorer.

"Je suis un elfe des marais, oui," murmura-t-il en tripotant le bout de ses oreilles pointues, rappelant que la chose était évidente. "Du moins l'étais-je. Après ce que j'ai subi, je ne suis plus vraiment constitué normalement ; et d'autre part, je n'ai pas remis les pieds dans mon village natal depuis bien longtemps. Mais rassurez-vous, Tora, vous ne me gênez pas. En fait, je crois que, de nous deux, c'est vous la plus gênée..."

Il se leva et s'approcha d'elle, puis posa une main sur son épaule.

"Si vous aviez été une elfe ? La vie d'un elfe n'est pas toujours plus rose que celle d'un humain, croyez-moi. Peut-être ne seriez-vous pas devenue pirate, peut-être auriez-vous un autre combat à livrer... Qui sait. La question ne se pose pas vraiment. Vous ne changerez pas votre nature."

A présent, il la regardait droit dans les yeux. Il avait enfin fini par reprendre son assurance. Il pouvait gérer la situation... Du moins l'espérait-il.

"Mais peut-être vouliez-vous savoir si mon attitude envers vous aurait changé dans ce cas ? Ma défunte fiancée, la mère de mon fils, était une elfe.Mais je ne l'aurais pas moins aimée si elle avait été de sang humain... Rassurez-vous. Aujourd'hui, le sang de toutes les races se mêle dans la boue d'Azilis. Alors, franchement... Je n'accorde que peu d'importance à l'origine de mes amis."

Tora détourna les yeux, essayant de controler le léger tremblement de ses mains et le rosissement de ses joues. Les paroles de Zaikel lui donnait envie de vivre en tant que elfe. Rien que pour l'avoir rencontré en tant qu'homme, avant. Elle écouta, attentivement, contrite. Il avait vécu des souffrances peut-etre pires que les siennes. Il ne voyait plus les siens, alors qu'elle meme vivait avec ceux qu'elle considérait comme sa famille.

La main posée sur son épaule était légère, et le frolement était agréable. Elle essaya de concentrer son esprit sur une réponse intelligente à dire. Il avait perdu... sa femme. Elle était à la fois triste pour lui, et aussi jalouse. Une sorte de feu la rongeait depuis les entrailles. Il avait été marié. A une elfe, surement d'une grande beauté. Elle s'en voulut, cette femme était morte, et Zaikel devait surement encore en porter le deuil. Peut-etre l'aimait-il encore...

Je suis désolée. Meme si tout cela est du passé... Vous... Je pense que ce genre de souffrances vous font mal ou pas dormir du tout, et que vous avez souvent mal quand vous y repensez. C'est pareil pour moi, hein..

Petite justification. Elle voulait pas lui faire pitié. Elle baissa un peu les yeux, le coeur gros. Elle aurait voulu pouvoir lui dire tellement de choses, mais était si restreinte. Il était là, près d'elle.. Elle ne pouvait pas...

Rougissante soudainement, elle se recula d'un pas et s'inclina, les yeux fermés. Elle essaya de parler, la gorge sèche.

Je..Je suis désolée pour l'autre jour ! Je n'aurais pas du vous embrasser ainsi ! Ce jeu de comédienne n'était pas parfait, et je..Excusez moi d'avoir du vous faire jouer ce role qui vous était imposé...

Elle avait été heureuse de ce baiser, elle ne pouvait le cacher. Et quand Zaikel s'était prété au jeu, elle avait senti son coeur battre plus vite. Arrete, c'était-elle dit, ce n'est qu'un role, il ne le pense pas vraiment. Mais ca lui avait fait chaud au coeur.

Zaïkel finit par retirer sa main, conscient que cela n'arrangeait pas l'état de Tora. Elle avait beau nier, il ne lui était pas facile de côtoyer Zaïkel. Même si c'était une pirate ayant connu d'innombrables batailles, elle restait une femme, humaine, avec ses sentiments et ses problèmes, et c'était ce qui la différenciait d'un monstre. Peut-être ne voyait-il encore que la capitaine pirate avant tout, et qu'il avait oublié de la ménager... Bon, d'un autre côté, il ménageait rarement les gens, pirates ou pas...

Mais là, il était face à un tout nouveau type de problème, qu'il n'avait pas affronté depuis la mort de Siam. Une femme qui l'aimait... Il n'arrivait pas à comprendre comment cela était possible, mais c'était pourtant le cas.

La voilà qui remettait sur le tapis cette histoire de baiser, à présent. Cherchait-elle à le mettre mal à l'aise ?

"Vous m'avez perturbé, c'est vrai," avoua-t-il. "Il est vrai aussi que vous auriez pu trouver un autre moyen de vous montrer convaincante. Mais allons... là aussi, c'est du passé. Un souvenir certes moins douloureux que ceux que nous avons tous les deux de nos jeunesses respectives. Le mieux serait peut-être de ne plus en parler, simplement. Ni de nos passés, ni de ce baiser, ni d'aujourd'hui. A moins que vous ayiez une autre solution ?"

Tora ferma les yeux. Les paroles de Zaikel rèsonnèrent dans son esprit, comme un rejet profond et douloureux. Durcissant son visage, le faisant redevenir impassible, elle hocha la tete en se redressant.

Vous avez raison. Laissons le passé...

Elle lui tourna le dos et alla à la fenetre, Plume se perchant sur son épaule. Le perroquet frotta son bec contre sa tempe. Il avait compris, et Zaikel aussi peut-etre, mais elle s'en foutait éperduemment. La porte s'ouvrit de nouveau et un de ses hommes vint lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Elle fronça les sourcils et hocha la tete. Elle retira sa redinguote et prit une sorte de tube en cuir, son étui à....

Venez si vous le désirez. Sinon nous pouvons vous reposer au port.

Grimpant les marches Tora alla se percher en haut de son toit, assise les jambes croisées, portant la chose en cuir à se lèvres. Elle en sortit une flute d'ivoire et d'or, joliment décorée de gravures. Elle porta l'instrument à ses lèvres et se mit à jouer une mélodie aigue et entrainante. Elle laissait aller ses sentiments dans la mélodie qui avait quelque chose de douloureux - àses oreilles. Yozur, jouant à la guitare, se mit à l'accompagner. Les rameurs, souquant plus fort, commencèrent à chanter la chanson des Galèriens. Tora joua plus vite, le vent dans les cheveux, Yozur en bas qui faisait résonner les sons de son instrument en choeur avec son coeur. Elle s'arreta au bout de quelques minutes et reprit son souffle. Elle laissa tomberson regard et toisa Zaikel.

L'elfe sourit doucement et hocha la tête. Au moins, elle ne faisait pas d'histoires. Il eût été idiot de penser que l'affaire était classée, certes, mais peut-être pourrait-on éviter qu'elle ne s'envenime. Il retourna s'asseoir et reprit son verre, bien qu'il fût vide à présent, et regarda distraitement les dernières gouttes de vin dévaler ses parois incurvées. Il savait déjà qu'il n'avait pas fini d'être troublé par les sentiments de Tora, même s'il n'avait pas l'intention d'y répondre. Poussant un soupir, il déposa de nouveau le verre et ramena son regard sur Tora. Il haussa un sourcil intrigué à la vue du tube de cuir.

A son invitation à la suivre, il se leva et s'inclina.

"Je vous suis, capitaine. Nous sommes sur votre bâtiment, après tout."

Il marcha docilement dans les pas de Tora jusqu'au pont. Dehors, le crépuscule commençait à laisser place à la nuit. Bientôt, les étoiles se multiplieraient. Zaïkel aimait bien les étoiles, en cela qu'elles étaient l'une des rares lumières qui ne lui agressaient pas les yeux.

Lorsque les premières notes de musique retentirent dans l'air, il s'arracha à sa contemplation et glissa son regard vers Tora. Elle jouait de la flûte. Plutôt bien, apparemment, mais Zaïkel n'y connaissait pas grand chose. Tous les pirates s'étaient mis à l'accompagner, et la chanson gonflait, tournoyait, voltigeait autour de lui. La capitaine s'arrêta un bref instant de jouer et regarda l'elfe en contrebas. Il fronça très légèrement les sourcils, étonné par ce regard.

"Qu'y a-t-il, Tora ?"

Tora l'observa, essayant de garder son regard froid. Elle posa sa flûte à ses côtés échangea un regard avec Yozur, un peu plus bas. Ce dernier arrêta de jouer pour prendre une posture différente, permettant à ses mains de vaguabonder sur le manche de la guitare. Une mélodie doucereuse et envoutante s'enfuiya soudain de l'instrument de l'homme loup. Les galériens s'arrêtèrent de chanter, continuant cependant de ramer avec force. Le vent souffla et Tora, serrant les poings, éleva sa voix pour chanter cette mélodie écrite par son père pour ses hommes.

C’est la dure chanson
La dure chanson des pirates
Qui tuent, qui pillent avec fracas
Oh, Corsaires et Moussaillons

Oyez, allez, à l’abordage !
Volez, trouez ces gens si lâches
Sautez, criez, tournant vos haches
Vos belles épées deviennent toutes
rouges
Comme la rouille, comme la rouille…

C’est la grande ballade
La grande ballade des pirates
Soûlez vos corps lourds et balourds
Buvez sans soif tout cet alcool
Dansez, dansez, l’esprit léger
Des ces pillages dans vos bagages
P’lottez ces corps de femmes si doux
Et oubliez soucis et sous

Oh, Corsaires et Moussaillons
Oyez, allez, à l’abordage
Allons, allons, tous les pirates
Au grand pillage de tous les âges !

Tuez, percez, un vrai carnage
Et tous ces corps sans vie au sol
Vous prennent aux tripes
Odeur qui pue !
Ca y’est c’est fait
out est rendu !

C’est la mort
La belle mort des pirates
Qui perdent la vie dans des combats
De géants à trois bras
Et qui dans un souffle
Maudissent leurs ennemis

Tora laissa ses hommes reprendre le refrain avec une certaine rage de vaince qui la fit sourire. Puis d'un bond, elle se placa à coté de Zaikel, en équilibre accroupie sur la rembarde du bateau, agile comme un chat. Se chemise blanche trop longue flottait comme le drapeau au vent quisoufflait. Elle posa son regard mauve sur l'homme à ses cotés.

Elle ne disait rien, laissant les mots là où ils étaient - dans son esprit et son coeur. Que pouvait-elle lui dire, à présent qu'il l'avait rejetée ainsi ? Tout lui paraissait si dur et si douloureux... Mais, le visage impassible, un léger sourire fendant ses lèvres, elle continuait de l'observer, en niant à elle même tout ce qu'elle ressentait.

[ La chanson est de moi Very Happy

écrite en allemand l'année dernière XD]

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